Aujourd’hui, 21 février, Missak Manouchian et sa compagne Mélinée font leur entrée au Panthéon. On ne peut que se réjouir de voir enfin reconnus, à travers eux, le rôle de la résistance communiste et la contribution des combattants immigrés à la lutte contre l’occupant. Avec Manouchian, ce sont tous ses camarades de l’Affiche rouge, et plus largement tous les résistants de la MOI (Main-d’œuvre Immigrée), qui se trouvent enfin honorés. Désignés comme « arméniens », « juifs », « hongrois », « espagnols », « roumains », « italiens », etc. , ces résistants d’obédience communiste, issus de toutes origines, défendirent et incarnèrent notre nation. Au combat, ces hommes et ces femmes que les fascistes appelaient des « métèques » ont été le vrai visage et l’honneur de la France – au moment où, à l’inverse, une large part des « élites » nationales (trahissait le pays, par lâcheté, adhésion au projet fasciste et/ou aversion pour « le bolchévisme » (on connaît le raisonnement : « Mieux vaut Hitler que le Front populaire »). Saluer la mémoire de Manouchian et de ses camarades était un devoir.
Mais, alors même que l’on célèbre l’apport et les sacrifices de la MOI, l’extrême-droite prospère dans notre pays. Cravatée, elle s’étale sur les bancs de l’Assemblée. Bottée et parfois armée, elle défile impunément dans nos rues, intimide, fait le salut nazi en plein Paris. En quête de respectabilité, elle s’efforce de brouiller la mémoire collective et d’inverser le sens des mots – un trait typique du fascisme – pour faire d’un parti fondé par d'anciens SS et d’ex-miliciens le visage d’une « résistance » nationale.
Dans sa marche en avant, elle bénéficie de relais médiatiques puissants et débridés, dont les chaînes du groupe Bolloré ne sont que l’avant-poste. Tous les jours, en écho aux discours du RN et à Reconquête, des éditocrates en roue libre s’acharnent à diviser le peuple français sur des bases ethniques ou religieuses, et à entretenir les paniques identitaires.
L’extrême droite profite également de l’extrême complaisance de la macronie. Cette dernière n’a-t-elle pas blanchi le RN et Reconquête, en matière d’antisémitisme ? N’a-t-elle pas fait adopter, avec les voix du RN, une loi scélérate sur l’immigration, allant jusqu’à la remise en cause le droit du sol (annulée depuis par le Conseil Constitutionnel) ? Ne propose-t-elle pas d’abolir ce même droit, hérité de la Révolution française et consubstantielle à notre République, dans un département français, Mayotte ?
Quelques années après le coup de chapeau du président au « grand soldat » Pétain, les macronistes retrouvent aujourd’hui les thèmes éculés de la droite la plus réactionnaire, et en appellent sans cesse à l’Ordre, à l’Autorité et au Réarmement. Ils oublient que l’ordre ne peut reposer que sur la justice et sur la solidarité, sapées jour après jour par les politiques d’un gouvernement au service des plus riches. Ils confondent l’autorité, qui suppose une adhésion du peuple, et l’autoritarisme débridé d’un gouvernement qui use et abuse de la force. Quant à l’utilisation récurrente de la notion de « réarmement », elle a une résonance martiale inquiétante ; mais elle apparaît aussi dérisoire, et ridicule, quand on sait le nombre d’industries stratégiques que ce gouvernement aura laissé vendre à l’encan, et quand on mesure l’affaiblissement de la puissance publique provoqué par des années de néolibéralisme offensif.
Le dérapage vers l’extrême droite de l’extrême-centre macroniste est de moins en moins contrôlé, mais il n’est pas une anomalie, ni une surprise. Gardons en tête que pour préserver leur domination, remise en cause par la multiplication des résistances (révolte des Gilets jaunes, manifestations massives contre la réforme inique des retraites, révoltes urbaines, mobilisations régulières dans de nombreux secteurs de la société…), les forces du capital peuvent choisir le pire sur le plan politique.
Sans qu’il y ait de fatalité à ce que le pire l’emporte. Si le fascisme peut être dans l’histoire la limite extrême de l’état capitaliste, ou l’évolution de la démocratie libérale en temps de crise comme l’observait Brecht en son temps, cela n’est jamais écrit d’avance. La victoire ou la défaite de l’extrême droite dépend aussi, aujourd’hui comme par le passé, « de conjonctures particulières déterminées par l’issue des luttes de classes ». https://www.contretemps.eu/poulantzas-fascisme-autoritarisme-neoliberalisme-extreme-droite/ Quel que soit le vocabulaire utilisé pour la décrire, cette lutte des classes, multiforme, traverse notre pays. Elle est un des espaces de la lutte contre l’extrême droite.
Célébrer les antifascistes d’hier tout en s’accommodant de l’extrême-droite d’aujourd’hui relève de l’inconscience. Et il y a quelque cynisme à saluer la Résistance immigrée quand, en même temps, on attaque les conquêtes sociales préfigurées par le CNR et que l’on jette l’opprobre sur les travailleurs étrangers.
Commémorer la Résistance est essentiel pour le consolider la mémoire collective de la République. Mais cela ne suffit pas à combattre le fascisme contre lequel les Résistants se sont levés. Il faut faire vivre, au présent, les principes et les idéaux qui animaient ces Résistants. Face aux entreprises de division qui visent à briser la résistance populaire à la dérive fascisante du néolibéralisme, il faut choisir son camp. Nous avons choisi le nôtre, c’est celui de l’Union populaire.