28février 2025
« Les Irresponsables. Qui a porté Hitler au pouvoir ? » de Johann Chapoutot : une lecture de salut public
Les Irresponsables. Qui a porté Hitler au pouvoir ? de Johann Chapoutot, est une lecture de salut public à l’heure où l’extrême droite est présentée sous un visage souriant dans les médias dominants.
L’auteur rappelle que les nazis ont bénéficié de l’appui décisif du grand patronnat, qui comptait sur eux pour mater la gauche parlementaire et les ouvriers mobilisés pour leurs droits. L’essor politique et électoral du parti nazi a notamment été encouragé par des magnats de la presse nostalgiques de l’Empire allemand disparu dans la défaite de la première guerre mondiale. Ces magnats ont utilisé leurs empires médiatiques pour diffuser dans la société une vision réactionnaire et raciste du monde. Ils ont théorisé et promu une conception de « l’information » réduite à une saturation de faits divers empêchant de penser.
La marche des nazis vers le pouvoir a également été facilitée par les décisions irresponsables d’un président Hindenburg narcissique et foncièrement hostile à la République. Entouré d’une clique d’intrigants et d’affairistes il dissout l’Assemblée au plus mauvais moment, et fait systématiquement le choix du pire. Dans les années précédent l’accession d’Hitler à la chancellerie, les élites conservatrices, minoritaires au parlement et dans le pays, multiplient les entorses à la constitution et les atteintes aux libertés publiques pour se maintenir coûte que coûte au pouvoir en appliquant une politique d’austérité budgétaire… avant de faire directement appel à Hitler.
Car contrairement aux idées reçues, les nazis n’ont pas été plébiscités par une majorité d’Allemands. Aux élections de novembre 1932, ils n’ont pas obtenu la majorité au Reichstag. Si Hitler a pu prendre le pouvoir, c’est parce que la droite conservatrice l’a nommé chancelier en janvier 1933 dans le cadre d’une coalition, en pensant contrôler les nazis via une alliance avec eux.
Ces coups de force à répétition ont été tolérés et même permis par les sociaux-démocrates du SPD. Au nom de « l’ordre » et de la « stabilité », ils ont refusé de voter chaque motion de censure déposée contre la droite conservatrice durant la période 1930-32, laissant cette dernière mener une politique favorisant la montée des nazis.
Rapprochement droite-extrême droite, manipulation médiatique de masse, volonté du grand patronat de mater à tout prix la classe ouvrière mobilisée, président antirépublicain tordant la constitution, réduction continue des libertés publiques, renoncement d’une partie de l’opposition qui se réveillera quand il sera trop tard…etc.
Comme l’écrit Chapoutot dans la conclusion de son livre : « le lecteur aura sans doute décelé quelques échos entre l’actualité et l’Allemagne de 1932 ». Mais aucune fatalité ne condamne à voir l’histoire se répéter. A condition de lutter frontalement contre l’extrême droite, sans lui consentir la moindre concession idéologique.