Arnaud Le Gall

12décembre 2025

La Nouvelle « stratégie de sécurité nationale des Etats-Unis » rappelle que les Etats-Unis ne sont pas nos alliés.

Publiée il y a quelques jours, la Nouvelle doctrine de sécurité nationale des Etats-Unis (NSS) résume la vision du monde de l’administration étasunienne.

Symbole majeur, la théorie Monroe, qui ajustée au gré des circonstance a servi de doctrine de base à l’impérialisme étatsunien surtout à partir du 20e siècle, est officiellement remise en avant. Mais l’impérialisme désormais décomplexé des Etats-Unis ne vise plus « seulement » l’Amérique du sud. La NSS ne prend plus de gants et voit désormais officiellement dans l’Europe un vassal à rééduquer.

Que les Etats-Unis ne conçoivent l’Europe que comme vassalisée n’est pas nouveau. Ni le consentement de la majorité des dirigeants européens à cette vassalisation. Il y a un consensus, par-delà la couleur politique de l’administration états-unienne, pour empêcher toute velléité d’indépendance stratégique européenne. A rebours des prétentions affichées à l’« autonomie stratégique » européenne, ces dernières années ont aggravé la vassalisation. On se souvient lors du sommet de l’OTAN en juin dernier de la pathétique déclaration de son secrétaire général Marc Rutte (« Papa doit parfois hausser le ton », au sujet des réprimandes émises par Trump). Les membres européens de l’OTAN ont alors accepté sous les injonctions de Trump de consacrer 5% de leur PIB aux dépenses d’armement. Ni plus ni moins qu’un tribut, puisque ces dépenses vont massivement gaver les carnets commandes de l’industrie étasunienne de l’armement. Ce qui est contraire à toute forme d’indépendance, les armes étasuniennes les plus sophistiquées pouvant être désactivées à distance si leur usage déplaît au pouvoir états-unien. Sans même aller jusque-là, il lui suffit de bloquer les livraisons de pièces de rechange.

Fin juillet, dans la foulée de cette séance d’humiliation collective, la présidente de la commission européenne Ursula Von der Leyen a conclu avec Donald Trump un accord commercial léonin. Pour limiter les droits de douane sur la plupart des produits européens exportés aux Etats-Unis à 15% – en réalité 20% du fait de la faiblesse du dollar par rapport à l’euro, elle a lâché sur tout le reste : promesse de 600 milliards d’euros d’investissements européens aux Etats-Unis, au moment où il faudrait au contraire relancer massivement les investissements productifs en France et en Europe ; promesse de 750 milliards d’euros d’achat de produits énergétiques états-uniens, ce qui ne fait qu’accroître la dépendance du continent en la matière ; promesse de dizaines de milliards d’achat de semi-conducteurs américains, nouvelle dépendance dans un domaine stratégique ; engagement à réduire les régulations écologiques, sanitaires et sécuritaires qui pourraient freiner l’arrivée des produits américains sur le marché européen, notamment dans le secteur stratégique du numérique, alors que l’Europe est déjà une colonie numérique des Etats-Unis.

Ces dernières démonstrations d’humiliation et de dépendance volontaires des dirigeants européens vis-à-vis du soi-disant « allié américain » n’ont pas suffi à convaincre Trump de changer d’orientation. Et pour cause, ce dernier ne navigue pas à vue, contrairement à ce que laissent entendre ceux qui le prennent pour un imbécile. Aussi détestable soit sa vision du monde, il en a une, relativement cohérente : celle d’un président d’extrême droite d’une puissance impériale économiquement distancée par d’autre puissance, en premier lieu la Chine, et qui adapte sa stratégie en conséquence. Les vassaux doivent être au service de la seule stratégie de sécurité nationale des Etats-Unis. Ces derniers n’ont plus les moyens, ni désormais la prétention, affichée entre la fin de la guerre froide et les années 2000, d’assurer un « ordre » global unipolaire fondé sur une triple domination monétaire, militaire, économique, et enrobé d’un droit international manipulé au grès des circonstances. On ne le regrettera pas, au regard des dégâts de la mondialisation néolibérale imposé via le fameux « consensus de Washington » dans les années 1990, et des désastres de la « guerre globale contre le terrorisme » lancée par Bush. Dès la seconde guerre en Irak en 2003 il était apparu aux yeux du monde entier que l’empire piétinait les principes qu’il prétendait défendre. L’acceptation plus ou moins consentie par les autres acteurs de leur prétention à être le « gendarme bienveillant » du monde était érodée. Puis la crise financière et économique déclenchée depuis les Etats-Unis en 2008 a accéléré la montée en puissance de la Chine, devenue depuis première économie productive.

En conséquence, d’une manière ou d’une autre, les Etats-Unis entendent jeter par-dessus bord le « système multilatéral » onusien qu’ils ont eux-mêmes largement contribué à créer après la seconde guerre mondiale. Joe Biden, en démocrate soucieux de préserver les formes, avait entouré la fin de la référence au droit international par la notion nouvelle d’« ordre fondé sur des règles ». Une notion pernicieuse, dont le sous-entendu est que ces règles sont décidées par les Etats-Unis au gré des circonstances. On a vu ce qu’elles valaient quand il a soutenu la guerre génocidaire à Gaza. Trump ne s’embarrasse pas de ces précautions quand il balaie l’ordre « fondé sur des règles » et pointe l’ONU comme un adversaire de la sécurité des Etats-Unis. Idem quand il suggère la formation, concurrente à l’ONU, d’un groupe de « 5 puissances avancées » incluant les Etats-Unis, la Chine, le Japon, l’Inde, la Russie. Il y a loin de la proposition à la mise en œuvre. Mais cela devrait faire réfléchir les pays européens ayant préféré les G7 et autres G20 à l’ONU, seule institution réellement universelle, et donc la plus légitime quelles que soient ses limites.

Concernant l’Europe, tout en s’inscrivant dans la continuité de ses prédécesseurs y voyant un satellite, Trump remise également les formes aux oubliettes. Exit les formules mielleuses préservant les apparences de la souveraineté qui remplissaient les passages consacrés aux relations transatlantiques jusque sous la présidence de Joe Biden. Il n’y a rien là de surprenant. Les discours de guerre idéologique du vice-président étasunien JD Vance à Munich et Paris en février dernier avaient donné le ton. Donald Trump veut une Europe alignée sur son projet d’extrême droite, encore plus vassalisée et mise au service de sa guerre commerciale – déjà perdue – face à la Chine. L’objectif avoué est de favoriser l’accès au pouvoir des partis d’extrême droite en Europe. On a déjà eu un aperçu de cela quand le réseaux social X, propriété d’Elon Musk, a mis en janvier dernier ses algorithmes de recommandation – c’est-à-dire les programmations qui mettent en avant ou au contraire invisibilisent les contenus sur les réseaux sociaux – au service de l’extrême droite allemande lors de la campagne électorale. Cet objectif est désormais officialisé, à renfort de discours contre une immigration qui menacerait les « valeurs occidentales » dans un contexte de soi-disant « choc des civilisations ».

Les premières réactions des dirigeants européens à la NSS s’inscrivent dans la continuité des séances d’humiliation collectives évoquées plus haut. Peu après la publication de la stratégie de sécurité nationale des Etats-Unis, en dépit des évidences, la « cheffe de la diplomatie européenne » Kaja Kallas, a ainsi déclaré : « les Etats-Unis restent notre plus grand allié (…) nous n’avons pas toujours été d’accord sur différents sujets, mais je pense que le principe général reste le même. Nous sommes les plus grands alliés et nous devons rester unis ». On aurait aimé pouvoir dire qu’elle ne parle pas au nom de la diplomatie française. Mais à Paris, silence sur les orientations de Trump, grand ami de Macron. Les envolées de ce dernier sur l’« autonomie stratégique » européenne, alors même qu’il est devenu l’un des meilleurs amis des seigneurs étasuniens de la tech, et qu’il fait de la France une colonie numérique étasunienne, sont depuis longtemps déconnectées de ses décisions concrète. Il n’y a rien à attendre sur le plan géopolitique de dirigeants européens actuels incapables ne serait-ce que d’un sursaut de dignité.

La NSS confirme une chose : renouer avec une politique d’indépendance n’est pas une option, mais une nécessité absolue. Il est urgent de porter une autre politique internationale au service de notre indépendance dans tous les domaines stratégiques, militaire, numérique, énergétique, alimentaire, sanitaire etc. La France en a les moyens. Sa politique étrangère n’a jamais été aussi influente que lorsqu’elle était en dehors du commandement intégré de l’OTAN entre 1967 et 2009. Loin de l’isoler, sa prise de distance avec l’atlantisme lui avait ouverte nombre de portes hors du monde occidental. La France doit être non-alignée et promouvoir, d’abord dans le cadre de l’ONU, une politique de coopération dans le cadre du droit international. L’heure n’est pas à s’enfermer, sous la férule d’un empire maltraitant, dans un monde occidental en plein rétrécissement identitaire se fantasmant en gardien de « valeurs démocratiques » largement vidées de leur substance. L’heure est à répondre collectivement aux enjeux relevant de l’intérêt général humain, à refuser la marche à la guerre que renferme la compétition de tous contre tous d’un capitalisme mondialisé en crise, à préparer l’adaptation au réchauffement climatique.