Arnaud Le Gall

05octobre 2025

Discours au meeting contre la guerre

Quel honneur d’intervenir devant plus de 4000 personnes à un meeting contre la guerre, pour la paix, enjeu central de notre temps. Merci aux organisateurs de cet événement d’y d’avoir réuni des intervenants de plus de 10 nations. Nous pouvons marcher la tête haute. Face à l’internationale réactionnaire financée à coup de milliards, l’internationalisme anticapitaliste, l’internationalisme des peuples est le seul rempart. Et il est toujours vivant.

Guerre coloniale et génocidaire à Gaza, guerre d’invasion en Ukraine, guerre de 30 ans en République Démocratique du Congo, sur fond de pillage des ressources, guerre entre deux factions de l’armée ravageant un pays entier au Soudan après avoir renversé ensemble le gouvernement civil issu de la révolution citoyenne de 2019 etc. La liste serait trop longue des 61 conflits enregistrés dans le monde ! Un record depuis la Seconde Guerre mondiale. La menace d’un conflit interétatique entre grandes puissances nucléaires est de retour. Cela va de pair avec la hausse ininterrompue des dépenses d’armement dans le monde depuis 10 ans.

Comment en sommes-nous arrivés là ? Dans l’idéologie dominante, l’explication est simple. Les régimes autoritaires russes et chinois, et tout un ensemble d’acteurs non occidentaux, seraient mus par la détestation de « nos valeurs » et du « monde libre ». Dès lors, de l’Ukraine au Proche Orient, l’enjeu principal serait de combattre « la barbarie », quoi qu’il en coûte. Et peu importe si, au passage, les dirigeants occidentaux laissent Israël commettre à Gaza un génocide soi-disant au nom de la « défense des démocratie ».

Les complices du génocide méprisent les initiatives visant à venir en aide aux palestiniens de Gaza. Mais ce qu’ils ne voient pas, c’est que même si les flottilles n’arrivent pas à destination, le message fondamental qu’elles envoient est entendu : non, nous ne sommes pas complices du génocide ! A cet instant, nos pensées vont vers le peuple de Gaza, et vers les militants de la flottille emprisonnés par Israël. Parmi eux, des parlementaires de la France Insoumise. Honte au gouvernement français qui ne fait rien pour défendre ses ressortissants, quand d’autres gouvernements ont d’ores et déjà œuvré à la libération des leurs. Honte aux complices du génocide !

Comment en sommes-nous arrivés là ? Seule une grille de lecture matérialiste qui commande notamment d’examiner l’histoire, les rapports de forces économiques, les intérêts de classe, permet de s’affranchir des obsessions identitaires reprises de l’extrême centre à l’extrême droite.

Nous vivons la fin de la mondialisation néolibérale. Plus précisément la fin d’un moment du capitalisme caractérisé par le libre-échange et une financiarisation en dollars, qui avait permis, depuis les années 1970, la relance de l’hégémonie des Etats-Unis.

Le consentement à cet ordre était assuré par l’empire étasunien, dont l’hégémonie reposait sur une suprématie monétaire, économique, militaire et idéologique qui a connu son apogée dans les années 1990. Le gendarme autoproclamé d’un monde prétendument unipolaire popularisait alors l’idée absurde de « fin de l’histoire », selon laquelle démocratie libérale et capitalisme étaient indépassables. Et qu’en se généralisant au monde entier cet assemblage engendrerait une paix automatique et universelle.

Cette mondialisation soi-disant heureuse a d’abord été une guerre sociale, résumée en un chiffre : de 1980 à 2022, selon l’ONU, la part des salaires dans la valeur ajoutée est passée de 63 à 52 % dans pays dits développés (-11 points) et de 62 à 49 (-13 points) dans les pays dits en développement. Partout, de petites oligarchies nationales et transnationales se sont enrichies sur le dos du grand nombre. Et l’avidité des détenteurs de capitaux, soucieux d’abaisser les coûts de production en investissant dans des zones de non droit écologique et social, a provoqué dans le même temps une désindustrialisation tendancielle des pays occidentaux. Tôt ou tard les contradictions d’une telle configuration devaient exploser au grand jour.

Cette mondialisation a également, dès le départ, une globalisation armée. La Pax americana a été sanglante pour le peuple irakien dès 1990. Et les espoirs d’un nouvel équilibre européen, émancipé du système de blocs de la guerre froide et de la vassalisation de l’Europe, ont été balayés par l’élargissement de l’OTAN à l’est, à rebours des promesses faites à la Russie de Gorbatchev.

Après le 11 septembre, les néoconservateurs ont engagé les Etats-Unis dans la guerre globale et permanente « contre le terrorisme ». Cette fuite en avant s’est révélée désastreuse pour le monde entier, Etats-Unis compris, à l’exception bien sûr de l’économie de la guerre. Le corolaire du discours sur la « fin de l’histoire », la toute aussi absurde théorie du « choc des civilisations », a servi de grille de lecture dominante. Elle a réactivé dans le monde occidental une perception essentialiste et raciste du monde, dérivée de l’imaginaire colonial.

Bref, le déferlement identitaire, sécuritaire, autoritaire, militaire auquel nous assistons vient de loin.

Le moment 2008 et la crise dite des subprimes a été un accélérateur du délitement de la mondialisation néolibérale. On a alors assisté à un alignement des crises : celle du capitalisme et de l’hégémonie étasunienne sur la mondialisation ; celle du système de sécurité collective bâti autour de l’ONU, d’abord attaqué à coups de guerres illégales par le pays qui prétendait en être le garant ; celle, enfin, découlant de l’accélération de la guerre à la nature et d’une crise écologique elle-même facteur de conflits dès lors que le capitalisme interdit toute réponse solidaire et collective. Depuis, la pandémie de covid, la guerre d’invasion de la Russie en Ukraine et la guerre coloniale et génocidaire d’Israël à Gaza, ont exacerbé ces dynamiques de crise.

Désormais, une « économie de guerre », corolaire de la « guerre sociale », est présentée comme seule réponse possible. Elle s’inscrit dans une forme renouvelée du capitalisme, déjà observée lors de la période allant des années 1880 à la Première Guerre mondiale causée d’abord par les rivalités entre puissances coloniales. Cette forme de capitalisme a trois caractéristiques majeures : l’imbrication croissante de la guerre et du commerce, observable notamment avec la militarisation des routes commerciales ; le délitement des règles classiques de la compétition économique, avec le retour d’un protectionnisme unilatéral et brutal ; enfin, et surtout, le retour de logiques ouvertement impériales. Le capitalisme est toujours d’une manière ou d’une autre impérialiste. Mais on assiste aujourd’hui à un franchissement de seuil. Quand Donald Trump dit « Je veux le Groenland », ou « j’aiderai l’Ukraine à condition qu’elle m’abandonne telle ou telle de ses ressources », il ne fait plus semblant de respecter les formes de la souveraineté étatique. Et la situation est d’autant plus dangereuse qu’après avoir perdu leur suprématie économique, les Etats-Unis voient leur domination monétaire contestée par les BRICS. Il ne leur reste donc, pour un temps indéterminé, que leur suprématie militaire.

Enfin la vision identitaire et raciste du monde s’étale de manière éhontée depuis le début de la guerre génocidaire à Gaza, dont le corollaire ici est la chasse hallucinée aux « islamo-gauchistes » et à tous leurs complices « woke ». Les tenants les plus frénétiques de cette vision du monde inventent en permanence de nouveaux ennemis, intérieurs et extérieurs. Nous faisons bien face à une forme renouvelée du fascisme. Et le capital a choisi son camp.

La paix, tant civile qu’internationale, est donc l’urgence de notre temps. C’est pourquoi, à la France Insoumise, nous en avons fait un axe majeur de nos combats. Depuis des années nous portons une diplomatie altermondialiste et non alignée au service de la paix. Elle repose sur quelques fondamentaux.

Défendre la paix, c’est d’abord affirmer que toutes les vies se valent. Que, par-delà les différences de régimes politiques, de religions, de couleur, l’établissement et le respect de règles communes fonde notre commune humanité. C’est pour cela que nous défendons systématiquement le recours à la diplomatie et au droit international.

Comment accepter qu’on puisse prendre des milliers de sanctions contre la Russie, en raison de la guerre d’invasion de Poutine en Ukraine, et que dans le même temps on n’agisse pas contre Israël, dont le gouvernement commet depuis deux ans un génocide en direct ? Le monde entier assiste à cette faillite de « l’Occident », qui n’a plus aucun crédit moral.

Nous continuerons pour notre part à prôner un règlement diplomatique de la guerre en Ukraine, car il n’y a pas d’issue militaire acceptable possible à cette guerre. Tout comme nous continuerons à exiger des sanctions contre Israël, la rupture des accords économique UE-Israël, et la condamnation des dirigeants génocidaires. Honte au gouvernement français qui a donné, sur ce point, des garanties à Netanyahou, visé par un mandat d’arrêt de la Cour Pénale Internationale ! Notre seule boussole, c’est bien celle du droit international et de la paix.

Pour le reste, nous sommes non alignés. C’est-à-dire que nous rejetons toute inscription dans des alliances militaires permanentes. A commencer par l’OTAN, dont les membres représentent à eux seuls plus de 60% des dépenses militaires mondiales en 2024. Nous refusons de suivre les Etats-Unis dans la logique de blocs qu’ils veulent imposer, sur fond de fragmentation de la mondialisation. Si nous parvenons au pouvoir, nous ne paierons pas le tribut, exigé par Trump, de 5% du PIB consacré aux dépenses d’armement. Nous refusons d’être embarqués dans des guerres qui ne sont pas les nôtres, quels qu’en soient les acteurs.

Ce non alignement va de pair avec la reconnaissance de l’ONU comme seul acteur institutionnel légitime pour notre sécurité collective. Nous devons parler à tout le monde, au-delà de la sphère occidentale. Cela a toujours été le cas pour la famille internationaliste à laquelle nous appartenons. Mais c’est devenu plus nécessaire que jamais, car le monde occidental n’est plus le centre du monde.

Enfin, défendre la paix implique évidemment de combattre le capitalisme aux échelles nationale et internationale. Nous avons des points d’appui concrets pour cela. Je pense notamment aux acquis d’un altermondialisme bien compris, conscient que rien n’est possible sans l’implication des peuples. Cet altermondialisme a inspiré et encore, consciemment ou non, les dizaines de révoltes populaires, que nous appelons pour notre part révoltes ou révolutions citoyennes observables dans le monde ces 15 dernières années.

De la Tunisie à la Thaïlande, en passant par le Chili, le Liban, le Burkina Faso, la France des Gilets jaunes, les Etats-Unis de Occupy Wall Street, Madagascar, le Népal, l’Algérie, le Maroc, et j’en passe des dizaines, partout les peuples se révoltent, ou se sont révoltés. Et partout, par-delà les différences de contextes nationaux, les revendications qui sont au cœur de ces révoltes visent les conséquences de la mondialisation néolibérales.

Évidemment, partout où il y a révolution, il y a contre révolution. Partout le capital préfère la solution autoritaire, identitaire, et parfois fasciste, pour diviser et affaiblir les peuples en lutte. Et il y parvient si aucune solution de gauche populaire et anticapitaliste n’offre un débouché politique crédible à la colère du peuple souverain.

Face à l’internationale réactionnaire, nous ne devons rien céder et rappeler que la paix implique de combattre les inégalités et les privilèges des classes possédantes, d’étendre méthodiquement la sphère des biens communs aux dépends de la sphère marchande, de défendre les droits des travailleurs. Nous ne le découvrons pas. C’était déjà le slogan de l’Organisation internationale du travail fondée en 1919 après la première guerre mondiale : « si tu veux la paix, cultive la justice ».

Nous en sommes à ce moment de l’histoire. Et nous avons le devoir de mener cette lutte sans rien céder.